“Victoire, merci l’outarde !” s’écrie Vakita après la suspension par la justice de plusieurs méga-bassines dans le Marais poitevin. En cause : la menace pour l’habitat de cet oiseau protégé. “Merci l’outarde”, et pas “pour l’outarde” car elle est un instrument et pas une finalité.
Mais cet oiseau étrange, intronisé totem des opposants, n’est pas seul à mener la guérilla juridique contre des projets d’infrastructures ou de développement industriel.
Le vison d’Europe mène aux points face à l’usine de Flying Whales, qui porte pourtant un projet disruptif de transport cargo décarboné par dirigeable. Le crapaud de Fessenheim met à mal le projet de zone d’activité située à quelques kilomètres au nord de la centrale, destiné à attirer des entreprises après la fermeture de la centrale. Le Grand Hamster d’Alsace a obtenu d’importantes contreparties à l’autorisation du grand contournement ouest de Strasbourg. Le timide escargot de Quimper, à lui tout seul, a mis en échec un projet de déchetterie et une extension de ligne de tramway.
Une redoutable patrouille d’aigles bottés s’attaque au projet d’usine toulousaine d’avions électriques du constructeur Aura Aéro. Et tout industriel qui s’engagerait imprudemment dans un projet de construction d’usine tremble à l’idée qu’une grenouille facétieuse vienne pondre dans les flaques d’eau de son chantier, ce qui occasionnerait un arrêt de celui-ci pour toute la saison de reproduction.
It’s not a bug, it’s a feature : tous ces cas sont révélateurs de la puissance d’un arsenal juridique qu’un législateur pataud a bâti pour sanctuariser la nature. Les études d’impact environnemental et social, obligatoires en Europe pour tout projet d’envergure, imposent de scruter chaque recoin des écosystèmes affectés. Les diagnostics de biodiversité peuvent durer jusqu’à deux ans, pour suivre le cycle des saisons. C’est lors de l’un d’entre eux que la présence de l’ADN du crapaud de Fessenheim a été repérée sur la zone d’EcoRhona. Présence d’une espèce protégée ? Le couperet tombe. La directive « Habitats » (92/43/CEE) et la loi française sur la biodiversité (2016) exigent des mesures d’évitement, de réduction ou, en dernier recours, de compensation, avec souvent un facteur multiplicatif.
Les instances environnementales, comme l’Autorité environnementale ou le Conseil National de Protection de la Nature, sont majoritairement composées des professionnels de la biodiversité les plus motivés pour protéger leurs sujets d’études. On imagine assez peu le président de la commission espèces et communautés biologiques du CNPN, ornithologue et spécialiste de la restauration des espaces naturels, enclin à signer un avis favorable à un projet d’autoroute. Bien que consultatifs, les avis de ces instances, une fois négatifs, sont difficiles et coûteux politiquement à ignorer. Pour boucler la boucle, ces avis se réfèrent souvent à des Plans Nationaux d’Action maximalistes. Celui de notre amie l’outarde, par exemple, ne compte pas moins de 124 pages, rédigées par la LPO.
Les possibilités de recours sont multiples, faisant peser un risque juridique permanent sur les projets. Les tribunaux administratifs, saisis à tour de bras, tranchent de plus en plus régulièrement en faveur des espèces menacées. La décision récente du TA de Toulouse, qui a décidé l’arrêt du chantier de l’autoroute A69 en raison de l’absence de « raison impérative d’intérêt public majeur » justifiant le projet, résonne comme un coup de tonnerre et ouvre une ère d’insécurité juridique majeure. Et fera sans doute reculer nombre d’investisseurs, notamment étrangers.
Ajoutez à cela les enquêtes publiques, où des militants très motivés font entendre leur voix, souvent par l’intimidation, le mensonge ou l’action violente. Ils ont compris que le climat, lointain et global, ne mobilise plus autant, alors que le castor ou la chauve-souris, c’est local et ça parle à tout le monde. Comme le dit Olivier Hamant : « Le climat est le pire levier, il faut commencer par la biodiversité ».
C’est ainsi que les deux auteurs de « Rendre l’eau à la terre » décrivent sans trembler des genoux, en parlant du castor, un “rongeur, dont la puissance créatrice a été effacée de nos mémoires par des siècles d’extermination” alors même que les politiques françaises de préservation sont un succès : la population du castor d’Europe est en expansion et plus de 15000 km de cours d’eau sont aujourd’hui concernés par sa présence.
C’est ainsi qu’Étienne l’ornithologue nous confie benoîtement dans Reporterre : “Aux yeux de la loi, une outarde vaut beaucoup plus que mille alouettes. Une seule outarde repérée sur le terrain peut justifier qu’on attaque en justice et même permettre de gagner contre un projet de bassine”.
C’est ainsi que des citadins-militants creusent des “mares” dans une forêt dans l’espoir que des tritons s’y installent.
C’est ainsi que de gentils “écureuils” grimpent dans les arbres pour les “protéger” en espérant qu’un allié providentiel vienne y nicher rendant l’abattage impossible pour plusieurs mois.
Derrière cette façade des gentils défenseurs du “vivant” se cache souvent un agenda anticapitaliste et décroissant, et des activistes déterminés à renverser le système. Leur succès symboliserait une prise de pouvoir de la biodiversité sur un développement jugé arrogant… Mais à quel prix ? Bloquer des initiatives au nom d’un oiseau ou d’un rongeur peut peut-être sauver des espèces, mais freine aussi des solutions face à une crise plus large. Entraver notre liberté, favoriser le déclin démographique, freiner l’activité économique, nous prive des moyens d’améliorer nos politiques de conservation. Et alimente le ressentiment d’une partie de la population, qui se sent abandonnée et méprisée.
En voulant tout préserver, on risque de ne rien construire. La transition écologique, qui exige innovation et infrastructures, se retrouve piégée par ses propres principes. La sanctuarisation d’une nature fantasmée est donc une impasse. Il est temps de revenir aux fondamentaux du développement durable : un développement humain en harmonie avec son environnement, sans sacrifier le Mazamétain au Moineau Soulcie.